Vêtement et musique : une identité en étendard

Deviner les goûts musicaux par le vêtement

Lorsque j’étais disquaire dans les années 80, il suffisait parfois d’un regard sur les tenues pour deviner ce que chacun était venu chercher. Certains entraient presque déguisés tant leur look collait à la musique qu’ils aimaient. Les amateurs de country, par exemple, arrivaient en chemises western à boutons-pression, foulards noués autour du cou, ceinturons avec grosses boucles et bottes impeccables, évoquant les grands espaces américains. Les rockabillies rappelaient les années 50 : banane gominée, blouson noir court, chemise bowling ou tee-shirt blanc moulant, et chaussures bicolores. Les métalleux ne laissaient aucun doute : cheveux longs, veste en jean bardée de patchs, t-shirts noirs à l’effigie de Motörhead, Slayer ou Iron Maiden, pantalons serrés et bracelets cloutés.

À côté, les punks affichaient une révolte plus radicale : crête de coq teinte en vert ou rose, perfecto couvert d’épingles, t-shirts déchirés ou tagués de slogans, bottes montantes et chaînes pendantes. Les baba-cools adoptaient une attitude plus « nature » : pantalons amples en toile, tuniques indiennes, colliers de perles et cheveux longs, avec souvent des sandales ou pieds nus. Même le jazz possédait ses codes : vestes en velours côtelé, lunettes rondes, chapeaux feutrés, mocassins bien cirés, donnant une allure distinguée et nonchalante. Et les amateurs de musique classique, pour finir, se présentaient dans des manteaux longs, écharpes sobres, costumes gris ou robes élégantes, avec une retenue presque cérémonieuse.

Quand le vêtement en dit plus que la musique - Deviner les goûts musicaux par la tenue

Quand s’habiller, c’est prendre position

Ces choix vestimentaires ne se limitaient pas à l’esthétique : ils véhiculaient des valeurs, des attitudes face au monde, et surtout une appartenance. Porter un T-shirt Slayer, ce n’était pas seulement aimer leur musique ; c’était afficher une rébellion contre le « mainstream ». Porter des habits baba-cool, c’était se déclarer proche de la nature, antimilitariste ou contestataire malgré des fringues souvent récupérés dans les stock-américains. Ces signes fonctionnaient comme des drapeaux : visibles, explicites, et codifiés.

La sociologie a largement montré que l’habit est un langage : il signale la classe sociale, le groupe d’âge, le style de vie, mais aussi des idéologies. L’uniforme en est l’exemple le plus extrême : militaire, religieux, militant. Et il existe des tenues dont la dimension idéologique est si forte qu’elles deviennent intolérables dans l’espace public, comme les habits du Ku Klux Klan ou l’uniforme SS, interdits car incarnant une idéologie haineuse.

Vêtement et musique : une identité en vitrine

Des codes brouillés, mais pas disparus

Aujourd’hui, les lignes sont plus floues. L’individualisation des goûts et la fast fashion ont mélangé les genres. Un banquier peut écouter du métal en costume-cravate, un rappeur porter une chemise blanche et des mocassins. Mais certains codes subsistent. Dans la rue, on reconnaît encore le look streetwear des amateurs de rap : casquettes plates, survêtements siglés, baskets dernier cri. À l’opposé, les gothiques continuent d’arborer leur noir intégral, manteaux à capuches, bottes, et maquillage pâle, héritiers des punks et de la new wave. Les fans d’électro se distinguent dans les festivals par des lunettes miroir, des tenues fluorescentes, des accessoires futuristes.

Et certaines tenues, qui paraissent banales à première vue, peuvent véhiculer, elles aussi, une idéologie ou une revendication identitaire. Elles deviennent une manière d’occuper l’espace, d’affirmer sa différence ou même de revendiquer un changement social, et parfois, elles soulèvent des débats passionnés quant à leur place dans la sphère publique.

Le vêtement : un simple tissu ?

Non. Dans toutes les sociétés, s’habiller n’est jamais neutre. Cela peut être une marque d’intégration, de distinction, ou au contraire de défi et de conquête. De la chemise à carreaux du cow-boy à la capuche du rappeur, du voile de la religieuse aux chaînes du punk, les habits dépassent leur fonction pratique pour devenir des signes.

Le vêtement est une forme de langage social : il désigne un « nous » et trace une frontière avec les autres. Il rassure ceux qui partagent les mêmes codes et provoque ceux qui les rejettent. Même quand il se veut anodin, il peut être perçu comme une provocation ou une revendication.

Ainsi, même si les musiques évoluent et que les styles se croisent, le vêtement demeure un marqueur puissant de nos identités, de nos engagements, et parfois même de nos batailles. Rien de plus banal, en apparence, qu’un bout de tissu — et pourtant, il peut porter des siècles d’histoire, de croyances et d’ambitions.

Conclusion

Dans le tumulte de nos sociétés contemporaines, les vêtements restent bien plus qu’un ornement. Ils sont un langage, un drapeau, parfois une arme symbolique. Dans les années 80 déjà, un simple blouson en cuir ou une chemise à carreaux suffisait à dire : « voilà qui je suis, voilà ce que je défends« . Aujourd’hui encore, malgré la diversité des styles, le vêtement continue de marquer les identités et de poser des questions.

Qui peut porter quoi ? Jusqu’où la liberté individuelle s’arrête-t-elle face aux sensibilités collectives ? À travers un simple habit, ce sont des visions du monde qui s’expriment, des idéaux qui s’affichent ou des conquêtes symboliques qui se poursuivent. À chacun de lire et d’interpréter ces signes… et de se demander ce qu’ils signifient pour lui-même.

Jean-Luc Admin Mazik juillet 2025©

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